Yves Tremorin
Yves Tremorin est né en 1959 à Rennes, en France ; il vit et travaille actuellement à Saint-Malo. En parallèle à des études de mathématiques, cet artiste commence ses investigations photographiques dès 1980, se concentrant d’abord sur le corps humain pour se tourner vers le paysage et la nature morte à partir de 1990.
 Sans Titre, 1994
photographie couleur 60*60cm
collections publiques d’art contemporain du Conseil Général de la Seine Saint-Denis
œuvre photographiée par François Poivre
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Pour la série Natures mortes (1993), Yves Trémorin s’est imprégné durant plusieurs mois du monde de l’art culinaire. L’aliment est bien évidemment omniprésent à travers tous les clichés de cette série et semble utilisé pour souligner, à la manière d’une vanité, que nous sommes faits de chair qui fourmille d’essaims de micro-organismes, de fluides visqueux, de cycles de putréfaction qui rythment notre horloge biologique, laissant transparaitre que le temps nous digère petit à petit mais inéluctablement.


Yves Trémorin a par le passé confié que « les choses sont à la fois extrêmement familières, on les connaît parfaitement— une cafetière, des fourchettes —, mais en se déplaçant un peu, en les regardant plus longtemps, une autre vision apparaît. Faire émerger quelque chose de la surface a priori connue des choses par la focalisation sur un point et par la diffusion de ce point ». Le punctum, point de focalisation ne correspond pas nécessairement au point de netteté de l’image, agirait plus comme agent régulateur, point d’harmonie que comme nexus de l’image dévolu à capter l’attention.


Les photographies de Tremorin évitent toute narration, toute fiction pour se concentrer sur la nature de la matière ; elles se présentent aux yeux du visiteur comme des volontés d’interrogations portées sur les objets simples qui structurent le quotidien tout en insistant sur leur valeur biologique et c’est par ce moyen que peut se faire la réification de la chair, en écho aux sentences du musée.


Cependant, les qualités positives de certaine photographies de la série, dont l’œuvre présentée dans cette exposition, permettent de prendre de la distance avec la peinture de vanités qui par sa symbolique venaient rappeler à l’éphémérité de son espérance de vie et par là même à la fragilité du corps : c'est donc un aspect positif de la nourriture qui gomme l’intensité morbide de la matière. Le peu de mise en scène, bien que la lumière ne soit pas naturelle, la frontalité du point de vue et l'économie visuelle vis-à-vis du sujet photographié véhicule un assujetissement du visiteur tant le regard qui se construit est à l'échelle du voir individuel, allant jusqu’à placer le spectateur dans un rôle de goinfre en train de déjeuner. La dramatisation charnelle scandée par les murs de l’ancien carmel trouve ici sa compensation.


yves@tremorin.net